Revue d'Evidence-Based Medicine



4 mois de rifampicine ou 9 mois d’isoniazide dans le traitement de la tuberculose latente ?



Minerva 2020 Volume 19 Numéro 1 Page 2 - 5

Professions de santé

Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Menzies D, Adjobimey M, Ruslami R, et al. Four months of rifampin or nine months of isoniazid for latent tuberculosis in adults. N Engl J Med 2018;379:440-53. DOI: 10.1056/NEJMoa1714283


Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité d’un régime de 4 mois de rifampicine (RIF) par rapport à un régime de 9 mois d’isoniazide (INH) en cas d’infection tuberculeuse latente chez les adultes.


Conclusion
Cette RCT multicentrique, en ouvert (open label), est de qualité méthodologique acceptable grâce à l’utilisation de critères de jugements objectifs et de l’intervention d’évaluateurs externes. Elle montre que 4 mois de rifampicine est non inférieur à 9 mois d’isoniazide. Au niveau des critères secondaires, on relève que l’adhérence thérapeutique est meilleure avec un traitement de 4 mois par rifampicine et que le profil de sécurité pour les effets indésirables graves favorise celle-ci.


Que disent les guides de pratique clinique ?
L’OMS met à disposition des cliniciens une série de recommandations de prise en charge de la tuberculose latente. Cette RCT confirme et renforce les données probantes provenant d’études observationnelles qui indiquaient que des schémas d’administration plus courts soit de rifampicine seule, soit de l’association rifapentine-isoniazide induisaient un avantage sur la monothérapie à l’isoniazide plus longue. La chimioprophylaxie de 4 mois à base de rifampicine montre une efficacité non inférieure à la prise pendant 9 mois de l’isoniazide. Le bras sous rifampicine montre une meilleure adhérence thérapeutique et un profil de sécurité significativement meilleur. Dans la pratique quotidienne, ces deux derniers points (adhérence thérapeutique et profil de sécurité), jouent en faveur de la rifampicine. L’isoniazide est toujours le premier choix chez les patients avec un antécédent d’intolérance aux rifamycines, d’interactions potentielles avec d’autres médicaments ou le fait que le patient a été exposé à une mycobactérie résistante à la rifampicine. Pour la chimioprophylaxie de l’ITL, un avis spécialisé semble rationnel. Un dernier aspect à évaluer est le coût comparatif de ces approches. En Belgique, début 2020, le coût de la rifampicine à la dose de 600 mg /J pendant 120 jours est de 159,95 € dont 42,75 € à charge du patient et pour l’isoniazide à la dose de 300 mg/J pendant 270 jours de 165,06 € (entièrement remboursé).


Contexte

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé des objectifs ambitieux pour le monde entier et a adopté la stratégie « END TB » qui vise à réduire de 95% le nombre de décès dus à la tuberculose et de 90% l'incidence de la tuberculose, par rapport aux niveaux de 2015, d'ici 2035 (1). La prévention de la tuberculose active par le traitement de l’infection tuberculeuse latente (ITL) est une pierre angulaire de l’élimination de la maladie. En effet, non traités, les patients non-HIV ont un risque de 5 à 10% de développer une tuberculose active au cours de leur vie (2). On estime à l’heure actuelle qu’environ ¼ de la population mondiale présente une ITL (3).

Il va sans dire que la sécurité (primum non nocere) ainsi que l’adhérence doivent être les premières considérations dans l’évaluation de tout nouveau schéma thérapeutique pour le traitement de l’ITL. En 2016, une méta-analyse de 58 études incluant 748572 sujets a confirmé un taux d'achèvement du traitement de 60% (4). Quelques études observationnelles suggèrent un risque d’hépatotoxicité moindre et des taux d’adhérence thérapeutique supérieurs sous un régime de 4 mois de rifampicine versus 9 mois d’isoniazide (5,6). Afin de recueillir des données plus probantes, les auteurs de l’article analysé ici, ont entrepris un essai randomisé de phase 3, comparant les deux options thérapeutiques chez les adultes en termes d’efficacité, d’adhérence thérapeutique et d’effets indésirables.

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion : adultes âgés d’au moins 18 ans avec une intradermoréaction à la tuberculine positive (induration ≥ 5 mm en cas de HIV ou susceptible d’entamer un traitement par anti-TNF α ; sinon ≥ 10 mm), un test IGRA (interferon-ɣ-release assay) positif, si le prestataire de soins recommandait un traitement avec l’isoniazide ou si suspicion de réactivation de tuberculose selon les critères ATS et Canadian TB standards ; avant la randomisation, évaluation médicale avec radiographie de thorax afin d’exclure une tuberculose active
  • critères d’exclusion : contacts de cas de tuberculose connue pour être résistante à l’INH ou la RIF ; patients HIV sous agents anti-rétro viraux dont l’efficacité est diminuée sous RIF ; femmes enceintes ; tout traitement connu pour ses interactions avec INH ou RIF ; patients déjà sous chimioprophylaxie pour une ITL ; tuberculose active, antécédent d’allergie ou intolérance à l’INH ou à un antibiotique de la famille des rifamycines (rifabutine, rifampicine, rifapentine)
  • inclusion de 6063 patients sur les 16907 patients évalués pour leur éligibilité potentielle ; 9 sites de recrutement ; inclusion des 847 patients de l’essai de phase 2 préalable car même méthodologie utilisée que dans l’essai de phase 3 ; soit 6910 patients en tout.

Protocole d’étude

Etude multicentrique en protocole ouvert ; randomisation générée centralement par blocs de taille variable (2-8) stratifiés selon les centres, allocation 1 :1 ; sites : Australie, Bénin, Brésil, Canada, Ghana, Guinée, Indonésie, Arabie Saoudite et Corée du sud

  • bras contrôle : INH 5mg/kg (max 300 mg/J) pour 9 mois (270 doses) plus pyridoxine
  • bras d’intervention : RIF 10 mg/kg (max 600 mg/J) pour 4 mois (120 doses)
  • suivi mensuel durant les deux premiers mois du traitement, ensuite suivi toutes les 8 semaines (au minimum)
  • suivi en post-traitement (complet ou non) jusqu’à 28 mois après la randomisation
  • l’achèvement du traitement a été considéré comme complet si au moins 80% des doses avaient été prises car le nombre total des doses prises est le déterminant clé dans la prévention de la tuberculose par l’INH (7)
  • à chaque visite de suivi, recherche d’événements indésirables par questions et examen physique ; gradation des événements indésirables : de 1-5 selon la gravité de ceux-ci (5 étant le décès).

 

Mesure des résultats

  • analyse préspécifiée en non-infériorité et en supériorité de la RIF vis-à-vis de l’INH
  • le critère primaire : prévention de la tuberculose active endéans la période de 28 mois de suivi en post randomisation
  • les critères secondaires : diagnostic clinique de tuberculose active par 100 personnes-année, effets indésirables de grade élevé (3-5 = sévères, menaçant la vie ou décès), le taux d’achèvement du traitement
  • 6800 patients requis pour avoir une puissance statistique de 90% pour montrer la non-infériorité de la RIF par rapport à l’INH, et pour avoir une puissance d’au moins 80% pour montrer la supériorité de l’efficacité de la RIF (au niveau de p < 0,05)
  • analyse per protocole (avec une marge de non-infériorité fixée à 0,75% sur 28 mois pour l’incidence cumulée) et en intention de traiter modifiée.

 

Résultats

  • 5744 des 6063 patients randomisés dans cette étude de phase 3 (94,7%) ont complété les 28 mois de suivi
  • lorsque l’on ajoute l’essai de phase 2 (même méthodologie), seuls 7,9% des patients dans la population en ITT modifiée n’ont pas terminé le suivi de 28 mois
  • la différence dans les taux de tuberculoses actives confirmées (cultures positives) ou cliniquement suspectées en per protocole était de -0,02 cas par 100 personnes-année en faveur de la RIF, ce qui donne pour l’incidence cumulée sur 28 mois, avec IC à 95% de -0,77 à 0,68, soit sous la marge de non-infériorité préspécifiée
  • dans la population analysée en intention de traiter modifiée, le taux de tuberculoses actives confirmées (cultures positives) ou cliniquement suspectées était comparable (0,10 cas par 100 personnes-année dans le bras RIF et 0,11 cas par 100 personnes-année dans le bras INH, avec IC à 95% de -0,54 à 0,51 pour la conversion en incidence cumulée sur 28 mois
  • le taux d’achèvement de la chimioprophylaxie était significativement meilleur dans le bras RIF (78,8% versus 63,2% ; avec IC à 95% de 12,7 à 14,4 ; p < 0,001)
  • en termes d’événements indésirables de grade 3-5 entrainant l’arrêt du traitement on note dans le bras RIF 1,6% et 2,7% dans le bras INH (-1,1%, avec IC à 95% de -1,8 à 0,4).
  • en termes d’hépatotoxicité : 0,3% dans le bras RIF et 1,7% dans le bras INH, (-1,4%, avec IC à 95% de -1,8 à -0,9).

 

Conclusion des auteurs

Une chimioprophylaxie de 4 mois à base de rifampicine (600 mg/jour) est non inférieure à l’utilisation de 9 mois d’isoniazide (max 300 mg/j) dans le cadre de la prévention d’une tuberculose active. Le taux d’adhérence est significativement plus élevé dans le bras rifampicine et le taux d’événements indésirables de grade 3 à 5 significativement plus faible comparé à l’isoniazide.

 

Financement de l’étude

Institut canadien pour la recherche en santé et « Australian national health and Medical Research Council ».

 

Conflits d’intérêts des auteurs

Deux des 29 auteurs signalent avoir reçu des bourses provenant des institutions gouvernementales responsables du financement de l’étude. Pas d’autres liens d’intérêts signalés.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Parmi les 6859 sur 6910 participants inclus dans l'analyse en intention de traiter modifiée des deux essais (phase 2 et 3), 7,9% seulement n'ont pas terminé 28 mois de suivi. Ce nombre de participants permet d’atteindre une puissance statistique de 90% pour la mise en évidence de la non-infériorité et de 80% pour mettre en évidence la supériorité de la RIF.

Les forces de la méthodologie nous semblent être :

  1. on rapporte 5 cas de tuberculose active dans chaque bras avec confirmation microbiologique dans 1 cas dans le bras INH et 3 dans le bras RIF » ; un biais d’observation (8) peut potentiellement exister en cas de diagnostic uniquement clinique mais retenons que cela ne représente que 4 cas dans le bras INH et 2 dans le bras RIF, résultats non significatifs
  2. étude multicentrique (9 pays) ce qui augmente la validité externe
  3. étude basée sur un échantillon populationnel de grande taille
  4. taux de suivi élevé.

Les faiblesses de la méthodologie nous semblent être :

  1. RCT en ouvert, seul le double insu permet de se prémunir du risque chez le patient de connaître la nature de son traitement et chez le médecin/l’évaluateur de modifier la qualité des soins, la surveillance des effets indésirables et l’évaluation des traitements ; cependant ce choix de dessin d’étude est en partie contrôlé par la randomisation, l’utilisation d’un critère de jugement primaire objectif et par l’existence d’un comité externe pour l’évaluation (9)
  2. l’adhérence au traitement se base sur les dires des patients et le comptage des comprimés
  3. le clinicien doit se souvenir au moment de la généralisation des résultats que la prévalence des HIV était faible : en effet un critère d’exclusion était HIV sous traitements anti-rétro viraux qui induisent une diminution de l’efficacité de la RIF
  4. taux faible de tuberculose active dans la population ITL de l’essai qui ne représente peut-être pas la réalité des pays étudiés.

Interprétation des données

Cette RCT ajoute des données probantes aux études observationnelles qui suggéraient des bénéfices pour les régimes plus courts pour le traitement de l’infection tuberculeuse latente (5,6). Notons également moins d’effets indésirables graves et moins d’hépato-toxicité dans le bras rifampicine.

28 mois de suivi est en relation avec le réel car, une fois infectée, la personne présente un risque plus élevé de développer une tuberculose au cours des deux premières années même si un risque supplémentaire peut persister toute la vie (10).

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT multicentrique, en ouvert (open label), est de qualité méthodologique acceptable grâce à l’utilisation de critères de jugements objectifs et de l’intervention d’évaluateurs externes. Elle montre que 4 mois de rifampicine est non inférieur à 9 mois d’isoniazide. Au niveau des critères secondaires, on relève que l’adhérence thérapeutique est meilleure avec un traitement de 4 mois par rifampicine et que le profil de sécurité pour les effets indésirables graves favorise celle-ci.

 

Pour la pratique

L’OMS met à disposition des cliniciens une série de recommandations de prise en charge de la tuberculose latente (3).

Cette RCT confirme et renforce les données probantes provenant d’études observationnelles qui indiquaient que des schémas d’administration plus courts soit de rifampicine seule, soit de l’association rifapentine-isoniazide induisaient un avantage sur la monothérapie à l’isoniazide plus longue (5,6,11).

La chimioprophylaxie de 4 mois à base de rifampicine montre une efficacité non inférieure à la prise pendant 9 mois de l’isoniazide. Le bras sous rifampicine montre une meilleure adhérence thérapeutique et un profil de sécurité significativement meilleur. Dans la pratique quotidienne, ces deux derniers points (adhérence thérapeutique et profil de sécurité), jouent en faveur de la rifampicine.

L’isoniazide est toujours le premier choix chez les patients avec un antécédent d’intolérance aux rifamycines, d’interactions potentielles avec d’autres médicaments ou le fait que le patient a été exposé à une mycobactérie résistante à la rifampicine. Pour la chimioprophylaxie de l’ITL, un avis spécialisé semble rationnel.

Un dernier aspect à évaluer est le coût comparatif de ces approches. En Belgique, début 2020, le coût de la rifampicine à la dose de 600 mg /J pendant 120 jours est de 159,95 € dont 42,75 € à charge du patient et pour l’isoniazide à la dose de 300 mg/J pendant 270 jours de 165,06 € (entièrement remboursé).

 

 

Références 

  1. The END TB Strategy: report no. WHO/HTM/TB/2015.19. Geneva: World Health Organization, 2015. URL: https://www.who.int/tb/strategy/End_TB_Strategy.pdf?ua=1
  2. World Health Organization. Latent tuberculosis infection: updated and consolidated guidelines for programmatic management. Geneva, World Health Organization, 2018. URL: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK531235/. Date accessed: October 2019.
  3. Latent Tuberculosis Infection (LTBI). Dynamed. URL: https://www.dynamed.com/condition/latent-tuberculosis-infection-ltbi. Date accessed : October 2019.
  4. Alsdurf H, Hill PC, Matteelli A, et al. The cascade of care in diagnosis and treatment of latent tuberculosis infection: a systematic review and meta-analysis. Lancet Infect Dis 2016;16:1269-78. DOI: 10.1016/S1473-3099(16)30216-X
  5. Page KR, Sifakis F, Montes de Oca R, et al. Improved adherence and less toxicity with rifampin vs isoniazid for treatment of latent tuberculosis: a retrospective study. Arch Intern Med 2006;166:1863-70. DOI: 10.1001/archinte.166.17.1863
  6. Lardizabal A, Passannante M, Kojakali F, et al. Enhancement of treatment completion for latent tuberculosis infection with 4 months of rifampin. Chest 2006;130:1712-7. DOI: 10.1378/chest.130.6.1712
  7. Comstock GW, Ferebee SH. How much isoniazid is needed for prophylaxis? Am Rev Respir Dis 1970;101:780-2. DOI: 10.1164/arrd.1970.101.5.780
  8. Chevalier P. Le biais d’observation : importance du triple aveugle. MinervaF 2014:13(3):38.
  9. Wood L, Egger M, Gluud LL, et al. Empirical evidence of bias in treatment effect estimates in controlled trials with different interventions and outcomes: meta-epidemiological study. BMJ 2008;336:601-5. DOI: 10.1136/bmj.39465.451748.AD
  10. Lillebaek T, Dirksen A, Baess I, et al. Molecular evidence of endogenous reactivation of Mycobacterium tuberculosis after 33 years of latent infection. J Infect Dis 2002;185:401-4.  DOI: 10.1086/338342
  11. Borisov AS, Bamrah Morris S, Njie GJ, et al. Update of recommendations for use of once-weekly isoniazid-rifapentine regimen to treat latent Mycobacterium tuberculosis infection. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2018:67:723-6. DOI: 10.15585/mmwr.mm6725a5

Auteurs

Van Meerhaeghe A.
Service de Pneumologie et GERHPAC, Hôpital Vésale, CHU-Charleroi ; Laboratoire de Médecine Factuelle, ULB
COI :

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