Revue d'Evidence-Based Medicine



Qualité de vie et fibrillation auriculaire symptomatique : ablation par cathéter ou thérapie médicamenteuse ?



Minerva 2020 Volume 19 Numéro 1 Page 6 - 9

Professions de santé

Médecin généraliste

Analyse de
Mark DB, Anstrom KJ, Sheng S, et al. Effect of catheter ablation vs medical therapy on quality of life among patients with atrial fibrillation: the CABANA randomized clinical trial. JAMA 2019;321:1275-85. DOI: 10.1001/jama.2019.0692


Question clinique
Quel est l’effet de l’ablation par cathéter versus thérapie médicamenteuse sur la qualité de vie des patients ayant une fibrillation auriculaire symptomatique ?


Conclusion
Cette étude randomisée contrôlée avec quelques limites méthodologiques et d’interprétation difficile, montre, chez des patients avec une fibrillation auriculaire symptomatique, un bénéfice statistiquement significatif mais non cliniquement pertinent en termes de qualité de vie de l’ablation par cathéter versus traitement médicamenteux.


Que disent les guides de pratique clinique ?
Le KCE, dans un rapport de 2012, réserve l’ablation par cathéter pour les patients avec une fibrillation auriculaire paroxystique, sans (ou avec une légère) cardiopathie et qui restent symptomatiques malgré un traitement médicamenteux adéquat. Un guide de NICE abonde également dans ce sens. Effectivement, l’ablation par cathéter est une intervention complexe, avec un risque de récidive important, des effets indésirables potentiellement graves et un coût élevé, ce qui limite son utilisation. L’étude analysée ici montre une tendance à un bénéfice de la qualité de vie avec l’ablation par cathéter, les résultats étant plus solides pour les patients les plus symptomatiques. Les résultats renforcent donc les recommandations existantes. Dans un contexte où les patients souhaitent participer de façon plus active aux décisions concernant leur santé et leur bien-être, des informations relatives à la qualité de vie offerte par les différents traitements existants est indispensable. Ainsi, l’ablation par cathéter maintient sa place pour les patients souffrant d’une fibrillation auriculaire symptomatique malgré un traitement médicamenteux optimal.


Contexte

La place de l’ablation par cathéter dans le traitement de la fibrillation auriculaire reste à préciser. Dans la revue Minerva, cette approche a déjà été explorée dans deux analyses d’essais cliniques randomisés (1,4). De ces analyses ressort l’intérêt de proposer cette intervention en cas d’échec par le traitement antiarythmique médicamenteux. Le KCE arrivait déjà à la même conclusion dans un rapport de 2012 (5), étant donné la complexité de l’intervention, le risque de récidive et de complications et le coût associé à l’ablation par cathéter.

Cependant, si la morbimortalité ou les récidives sont des aspects souvent évalués, la qualité de vie offerte par ces différentes approches thérapeutiques est un domaine peu étudié, surtout à long terme. Or, dans un contexte où les patients souhaitent participer de façon plus active aux décisions concernant leur santé et bien-être, des informations relatives à la qualité de vie offerte par les différents traitements existants est indispensable. L’étude CABANA veut combler ce vide.

 

Résumé

Population étudiée

  • étude multicentrique (126 centres dans 10 pays)
  • critères d’inclusion : fibrillation auriculaire symptomatique, paroxystique (débutante ou sous-traitée) ou persistante, hommes et femmes âgés ≥ 65 ans ou < 65 ans si au moins un facteur de risque d’accident vasculaire cérébral associé
  • inclusion de 2204 sujets, médiane d’âge 68 ans, 63% d’hommes, dont 43% avec une fibrillation auriculaire paroxystique et 57% avec une fibrillation auriculaire persistante.

 

Protocole d’étude

Etude clinique randomisée, ouverte, groupe intervention versus traitement de référence, en groupes parallèles

  • ablation par cathéter (n = 1108) avec technique laissée au choix de l’investigateur ; traitement médicamenteux (n = 1096) avec contrôle de fréquence ou de rythme selon le choix de l’investigateur
  • durée de l’étude : 6,5 ans 
  • entretiens structurés et/ou questionnaires au début, à 3, 6 (pour des critères de jugement secondaires) et 12 mois puis tous les 12 mois par la suite.

 

Mesure des résultats

  • co-critères de jugement primaires : qualité de vie évaluée par le score Atrial Fibrillation Effect on Quality ( AFEQT ) avec une différence cliniquement importante au niveau du patient si ≥ 5 points et le score Mayo AF-Specific Symptom Inventory ( MAFSI ) avec une partie évaluant la fréquence des symptômes (différence cliniquement importante au niveau du patient si ≤ −1,6 point) et une autre partie évaluant la sévérité des symptômes (différence cliniquement importante au niveau du patient si ≤ −1,3 point)
  • critères de jugement secondaires : qualité de vie évaluée par 6 autres échelles
  • estimateur : différences moyennes ajustées avec les intervalles de confiance à 95%
  • analyses en intention de traiter et analyses par protocole
  • analyses de sensibilité selon la sévérité des symptômes notamment.

 

Résultats

  • médiane de durée de suivi : 48,5 mois
  • 90,1% des questionnaires prévus dans le protocole recueillis (soit 18436 questionnaires)
  • 89% des patients ont terminé l’étude (soit 1968 patients)
  • critères de jugement primaires :
    • qualité de vie évaluée par AFEQT Summary Score
      • à 12 mois, une différence moyenne ajustée supérieure de 5,3 points (avec IC à 95% de 3,7 à 6,9 ; p < 0,001) favorable au groupe soumis à l’ablation par cathéter a été observée
      • à la fin de 5 ans de suivi, une différence moyenne ajustée supérieure de 3,4 points (avec IC à 95% de 2,1 à 4,8 ; p < 0,001) a été observée également favorable au groupe soumis à l’ablation par cathéter
    • qualité de vie évaluée par MAFSI Frequency Score
      • à la fin de l’étude, score plus favorable au groupe soumis à l’ablation par cathéter avec une différence moyenne ajustée inférieure de -1,7 point (IC à 95% de -2,3 à -1,2 ; p < 0,001)
    • qualité de vie évaluée par MAFSI Severity Score
      • à la fin de l’étude, score plus favorable au groupe soumis à l’ablation par cathéter avec une différence moyenne ajustée inférieure de -1,5 point (IC à 95% de -2,0 à -1,1) ; p < 0,001)
  • analyse de sensibilité : pas de changements significatifs.

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que l’ablation par cathéter apporte un bénéfice clinique important et une amélioration significative de la qualité de vie par rapport à la thérapie médicamenteuse chez les patients présentant une fibrillation auriculaire symptomatique.

 

Financement de l’étude

National Heart, Lung, and Blood Institute, St Jude Foundation and Corporation, Biosense Webster Inc, Medtronic Inc, Boston Scientific Corporation, et Mayo Clinic.

Conflits d’intérêts des auteurs

5 auteurs ont reçu des financements et/ou sont consultants pour les firmes qui sponsorisent l’étude.

 

Discussion

 

Considérations sur la méthodologie

Cette étude contrôlée randomisée multicentrique présente quelques limites méthodologiques. La définition des traitements pour chaque groupe est assez large : l’ablation par cathéter est définie comme l’isolation des veines pulmonaires et éventuellement l’ablation d’autres foyers et le traitement médicamenteux englobe autant l’approche du contrôle de la fréquence que du contrôle du rythme. La randomisation est faite par bloc (taille de ceux-ci entre 2 et 4) et reste inconnue des investigateurs, par contre l’essai par la suite est en ouvert. Les critères de jugements, par leur définition, sont subjectifs, ils sont évalués en entretien ce qui peut prêter à des interprétations différentes selon les intervenants. Pour améliorer le recueil d’informations, les interviewers ont été formés et leur nombre limité : chaque coordinateur de centre réalisait les interviews de départs de son site, aidé par d’autres investigateurs également formés pour certains entretiens de suivi par téléphone. Si le secret d’attribution était respecté pour ces investigateurs, ce n’était pas le cas pour les coordinateurs de centre. Un biais d’information ne peut être exclu. A noter également une proportion importante de patients sortis de l’étude (11%).

Les caractéristiques des patients ne montrent aucune différence significative entre les 2 groupes. Les groupes possèdent chacun un nombre important de patients (n > 1100) ce qui constitue le nombre minimum calculé a priori pour atteindre une puissance de 90% pour détecter une diminution de 30% d’un critère de jugement primaire composite incluant mortalité totale, AVC, hémorragie majeure ou arrêt cardiaque.

 

Interprétation des résultats

Les résultats des critères de jugement principaux sont clairement présentés et sont statistiquement significatifs. L’analyse des résultats a été réalisée en intention de traiter. Leur interprétation est cependant peu aisée. Premièrement, 9% des patients randomisés dans le groupe ablation par cathéter ne l’ont finalement pas subi et 28% des individus randomisés dans le groupe thérapie médicamenteuse ont finalement réalisé l’intervention (cross-over important). Deuxièmement, les investigateurs avaient le choix tant des techniques interventionnelles que médicamenteuses. Troisièmement, si les résultats sont statistiquement significatifs, les intervalles de confiance englobent les valeurs de seuil de pertinence clinique. Enfin, à 5 ans de suivi, seuls 30% des patients inclus répondent aux questionnaires AFEQT. Un autre élément à intégrer dans l’analyse des résultats de cette étude est la possibilité d’un biais d’information, déjà décrit.

Les auteurs ont réalisé une analyse par protocole pour évaluer la robustesse des résultats chez les patients ayant réellement subi une ablation par cathéter. Cette analyse a confirmé les résultats observés en analyse en intention de traiter. À 60 mois, les résultats sont renforcés : différence de 5,6 points avec un IC à 95% de 3,0 à 8,1 points.

Certains patients peuvent donc sentir de fortes améliorations concernant leur qualité de vie et d’autres très peu. Voilà pourquoi les auteurs ont aussi réalisé des analyses des répondants et trois analyses post hoc. Il en ressort que l’avantage de l’ablation par cathéter par rapport à la thérapie médicamenteuse serait plus important pour les patients les plus symptomatiques.

Une RCT de 2019, l’étude CAPTAF, qui analyse aussi la qualité de vie, renforce cette association (7). Les résultats d’autres études pilotes rapportés par les auteurs renforcent également ce constat. Cependant, ces études pilotes avaient utilisé d’autres échelles et se déroulaient sur un temps plus court.

A noter également que la population incluse est assez spécifique. Ce sont majoritairement des hommes blancs entre 65 et 74 ans très symptomatiques (60% des patients étaient gravement symptomatiques) et atteints d’insuffisance cardiaque sévère. Cette sélectivité peut expliquer les résultats favorables car la littérature recommande souvent de réserver l’ablation par cathéter aux patients symptomatiques et ce, malgré un traitement médicamenteux optimal (5,6).

Evidemment, le choix thérapeutique prend en compte d’autres critères que la qualité de vie, comme la morbimortalité. Une autre publication de l’étude CABANA (8) reprend les mêmes groupes randomisés de patients et évalue la mortalité et le risque d’accident vasculaire cérébral, de saignement grave ou d’arrêt cardiaque. Les résultats ne montrent pas de différence significative entre les deux groupes.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée contrôlée avec quelques limites méthodologiques et d’interprétation difficile, montre, chez des patients avec une fibrillation auriculaire symptomatique, un bénéfice statistiquement significatif mais non cliniquement pertinent en termes de qualité de vie de l’ablation par cathéter versus traitement médicamenteux.

 

Pour la pratique

Le KCE (5), dans un rapport de 2012, réserve l’ablation par cathéter pour les patients avec une fibrillation auriculaire paroxystique, sans (ou avec une légère) cardiopathie et qui restent symptomatiques malgré un traitement médicamenteux adéquat. Un guide de NICE (6) abonde également dans ce sens. Effectivement, l’ablation par cathéter est une intervention complexe, avec un risque de récidive important, des effets indésirables potentiellement graves et un coût élevé, ce qui limite son utilisation (5).

L’étude analysée ici montre une tendance à un bénéfice de la qualité de vie avec l’ablation par cathéter, les résultats étant plus solides pour les patients les plus symptomatiques. Les résultats renforcent donc les recommandations existantes. Dans un contexte où les patients souhaitent participer de façon plus active aux décisions concernant leur santé et leur bien-être, des informations relatives à la qualité de vie offerte par les différents traitements existants est indispensable. Ainsi, l’ablation par cathéter maintient sa place pour les patients souffrant d’une fibrillation auriculaire symptomatique malgré un traitement médicamenteux optimal.

 

 

Références 

  1. Delmotte P. Fibrillation auriculaire paroxystique : ablation par radiofréquence versus médicaments antiarythmiques. Minerva bref 15/06/2015.
  2. Morillo CA, Verma A, Connolly SJ, et al; RAAFT-2 Investigators. Radiofrequency ablation vs antiarythmic drugs as first-line treatment of paroxysmal atrial fibrillation (RAAFT-2): a randomized trial. JAMA 2014;311:692-700. DOI: 10.1001/jama.2014.467
  3. Chevalier P. Ablation par cathéter en cas de fibrillation auriculaire avec insuffisance cardiaque ? Minerva bref 15/04/2019.
  4. Marrouche NF, Brachmann J, Andresen D, et al; CASTLE-AF Investigators. Catheter ablation for atrial fibrillation with heart failure. N Engl J Med 2018;378:417-27. DOI: 10.1056/NEJMoa1707855
  5. Van Brabandt H, Neyt M, Devos C. L'ablation par cathéter de la fibrillation auriculaire. Synthèse. Health Techhnology Assessment (HTA). Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). 2012. KCE Report 184Bs. D/2012/10.273/58. 
  6. National Institute for Health and Care Excellence. Atrial fibrillation: management. NICE Pathways 2014.
  7. Blomstrom-Lundqvist C, Gizurarson S, Schwieler J, et al. Effect of catheter ablation vs antiarrhythmic medication on quality of life in patients with atrial fibrillation: the CAPTAF randomized clinical trial. JAMA 2019;321:1059-68. DOI: 10.1001/jama.2019.0335
  8. Packer DL, Mark DB, Robb RA, et al. Effect of catheter ablation vs antiarrhythmic drug therapy on mortality, stroke, bleeding, and cardiac arrest among patients with atrial fibrillation: the CABANA randomized clinical trial. JAMA 2019;321:1261-74. DOI: 10.1001/jama.2019.0693

 




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