Revue d'Evidence-Based Medicine



Maintien d’une perte de poids volontaire par l’exercice, le liraglutide ou les deux combinés



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 5 Page 108 - 111

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Lundgren JR, Janus C, Jensen SB, et al. Healthy weight loss maintenance with exercise, liraglutide, or both combined. N Engl J Med 2021;384:1719-30. DOI: 10.1056/NEJMoa2028198


Question clinique
Chez des patients obèses non porteurs de maladies chroniques, en particulier non diabétiques, le liraglutide, prescrit seul ou en combinaison avec un programme d’exercices physiques, en comparaison avec un placebo, facilite-t-il le maintien d’une perte de poids volontaire initiale ?


Conclusion
Cette étude montre que chez des patients très sélectionnés en bonne santé, l’adjonction de liraglutide (3 mg/jour) à l’exercice physique structuré apporte un (petit) bénéfice au maintien d’une perte de poids acquise par un régime hypoglycémiant sévère de 8 semaines, cela sur une période de 52 semaines. La généralisation n’est cependant pas possible ; de plus, rien ne peut étayer l’idée que le gain potentiel en termes individuel ou de santé publique puisse contrebalancer les effets indésirables fréquents observés. La balance bénéfices-risques reste donc douteuse. Enfin, le coût mensuel est important.


Contexte

La pression sociétale sur les patients en excès de poids ou obèses est considérable. Les arguments factuels qui sous-tendent cette pression sont pertinents (1). Tout patient en excès pondéral ou obèse, qui tente de perdre du poids, constatera rapidement que si une perte initiale est difficile à obtenir, elle est encore plus difficile à maintenir. Cela est partagé par l’expérience des cliniciens, et confirmé par de larges études de cohortes (2). Minerva a consacré un grand nombre d’analyses au problème de l’obésité, habituellement dans un contexte de diabète ; une analyse concerne le sémaglutide, chez des patients obèses non diabétiques, avec des résultats intéressants sur la perte de poids (3,4). Les agonistes des récepteurs du GLP-1, en quelque sorte des anorexigènes (5), initialement prescrits comme hypoglycémiants, ont été rapidement positionnés dans la pharmacologie de l’obésité. Une nouvelle étude est ici analysée (6).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • les patients sont sélectionnés dans un environnement très particulier qui est celui de l’éco-système du Novo Nordisk Foundation Center for Basic Metabolic Research , à Copenhague
  • le BMI est entre 32 et 43, l’âge de 18 à 65 ans ; les patients n’ont pas de maladie chronique sévère, en particulier pas de diabète
  • 244 candidats sont interrogés, 215 suivent un régime hypocalorique commercial (800 calories /j) pendant 8 semaines ; les 195 patients qui ont perdu au moins 5% de leur poids initial sont sélectionnés et randomisés
  • intervention et contrôle : les participants sont divisés en 4 groupes : 3 groupes « intervention » et 1 groupe « contrôle » : un groupe « exercice seul » (150 minutes par semaine d’exercice modéré ou 75 min par semaine d’exercice intense, après 6 semaines de prise en charge individualisée) ; un groupe « liragutide seul », à doses progressives (augmentation de la dose sous-cutanée journalière de 0,6 mg par semaine, jusqu’à une dose maximale de 3 mg/jour, ajustée vers le bas si intolérance) ; un groupe associant les deux interventions (« liraglutide + exercice physique ») ; un groupe « placebo » ; les 4 groupes ont un suivi diététique attentif spécialisé ; participants et investigateurs sont en insu par rapport à l’administration de liraglutide ou d’un placebo.

 

Mesure des résultats

  • critère de jugement primaire : changement de poids (en kg) entre la randomisation et la semaine 52
  • critère de jugement secondaire :
    • modification (exprimée en % du poids du corps) de la masse graisseuse, de la randomisation à la semaine 52
    • plusieurs données quantitatives sont recueillies, et considérées comme purement observationnelles : parmi elles, la capacité cardio-respiratoire (en ml O2/min/kg de poids) et le rythme cardiaque de base (en battements par min).

 

Méthodologie

  • essai randomisé, 4 groupes de taille équivalente (groupe « exercice », n = 48 ; groupe « liraglutide », n = 49 ; groupe « exercice + liraglutide, n = 49 ; groupe « placebo », n = 49).

 

Résultats

  • pour le critère de jugement primaire,
    • le groupe « placebo » regagne 6,1 kg, le groupe « exercice » regagne 2 kg, le groupe « liraglutide » perd 0,7 kg et le groupe « liraglutide + exercice » perd 3,4 kg 
    • les différences entre le groupe « placebo » et les 3 groupes « intervention » sont respectivement de - 4,1 (avec IC à 95% de -7,8 à – 0,4 ) , - 6,8 (avec IC à 95% de -10,4 à -3,1) , et -9,5 (avec IC à 95% de -13,1 à -5,9) kg ; tous ces résultats sont donc statistiquement significatifs
    • les différences entre le groupe « liraglutide + exercice » et les groupes « exercice seul » et « liraglutide seul » sont respectivement de -5,4 (avec IC à 95% de -9 à -1,7) et de -2,7 (avec IC à 95% de -6,3 à +0,8) kg, ce dernier résultat n’est donc statistiquement PAS significatif
  • pour le critère de jugement secondaire, les différences entre le groupe « liraglutide + exercice » et chacun des groupes « liragutide » et « exercice » sont de -1,9% (avec IC à 95% de -3,3 à -0,5) et -1,7% (avec IC à 95% de -3,2 à -0,2), résultats donc significatifs.

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent qu’une stratégie combinant exercice physique et liraglutide améliore mieux le maintien d’une perte de poids volontaire que chacun des traitements isolés

 

Financement de l’étude

Soutenu par des subventions de la Fondation Novo Nordisk, l’université de Copenhague et Académie danoise du diabète.

 

Conflicts d’intérêts des auteurs

Quatre auteurs ont déclaré différents intérêts : trois d'entre eux étaient employés avec un financement de Novo Nordisk ou avaient leur propre société biotechnologique. Un auteur a travaillé pour la Fondation du diabète et un autre a reçu des honoraires de conférencier et de consultation. Onze autres personnes n'ont déclaré aucun intérêt.

 

Discussion

 

Évaluation de la méthodologie

Cet essai randomisé est d’excellente qualité méthodologique. L’analyse des résultats est faite en « intention to treat », les données manquantes sont imputées au hasard et plusieurs analyses de sensibilité sont pratiquées. Il est cependant difficile d’accepter sans remarque négative la conclusion des auteurs, qui est vraie pour le critère de jugement secondaire, mais pas pour le critère de jugement primaire ; de plus, la signification statistique des différences observées entre les groupes « liraglutide » et « exercice » n’a pas été présentée par les auteurs, tant pour le critère primaire que pour le critère secondaire, mais elle semble visuellement non significative. Donc, dans cette étude, le liraglutide et l’exercice physique n’ont pas été montrés différents, tout au plus peut-on accepter un effet additif probable de la combinaison des deux interventions, cela pour le maintien d’une perte de poids significative après amaigrissement volontaire.

 

Évaluation des résultats de l'étude

La sévère sélection des patients avant la randomisation exclut toute généralisation possible des résultats de cette étude aux patients vus habituellement en médecine générale ou spécialisée ; il faut souligner aussi que tous les patients proviennent d’un seul centre très spécialisé. Le bénéfice réel en termes de santé publique ou de santé individuelle est évidemment impossible à évaluer : les patients choisis ne sont pas porteurs d’une maladie chronique : ils ne sont ni diabétiques, ni hypertendus, ni dyslipidémiques lors de la randomisation ; la durée d’observation est courte (52 semaines). Les effets secondaires observés sont habituels dans les traitements par liraglutide : nausées, diarrhées, vomissements, diminution de l’appétit, complications vésiculaires parfois sévères, fatigue et palpitations. Le problème des palpitations doit être compris dans le cadre d’un effet secondaire connu des agonistes du récepteur du GLP-1, à savoir l’accélération du rythme cardiaque (7) ; dans cette étude, elle est effectivement observée (+5 battements /min en moyenne) ; cet effet n’est pas observé dans le groupe « exercice » et est fort diminué dans le groupe « exercice + liraglutide ». Dans les groupes « exercice » (seul et avec liraglutide), on observe de plus une amélioration de l’aptitude cardiorespiratoire ; cela, combiné à la suppression de la tachycardie, suggère l’idée que le liraglutide ne devrait être prescrit que chez les patients capables d’un bon entraînement physique (8) ; à noter que le critère de l’amélioration de la capacité cardiorespiratoire est peut-être même plus pertinent que le gain en poids dans l’évaluation des stratégies d’approche de l’obésité (9).

 

Que disent les guides de pratique clinique?

L’aspect spécifique étudié dans cette étude n’est généralement pas abordé par les guides de pratique (SSMG, Domus Medica, CBIP). Par contre, un guide de pratique clinique, pour l’approche en première ligne de l’obésité, à base factuelle, a été publié au Canada en 2020 (10) ; sur la base d’une étude dont le design est un peu différent (11), les auteurs jugent qu’une pharmacothérapie par liraglutide peut être acceptée pour le maintien d’une perte de poids obtenue par une diététique hypocalorique.

 

Conclusion de Minerva

Cette étude montre que chez des patients très sélectionnés en bonne santé, l’adjonction de liraglutide (3 mg/jour) à l’exercice physique structuré apporte un (petit) bénéfice au maintien d’une perte de poids acquise par un régime hypoglycémiant sévère de 8 semaines, cela sur une période de 52 semaines. La généralisation n’est cependant pas possible ; de plus, rien ne peut étayer l’idée que le gain potentiel en termes individuel ou de santé publique puisse contrebalancer les effets indésirables fréquents observés. La balance bénéfices-risques reste donc douteuse. Enfin, le coût mensuel est important.

 

 

Références 

  1. Ma C, Avenell A, Bolland M, et al. Effects of weight loss interventions for adults who are obese on mortality, cardiovascular disease, and cancer: systematic review and meta-analysis. BMJ 2017;359:j4849. DOI: 10.1136/bmj.j4849
  2. Jensen MD, Ryan DH, Apovian CM, et al. 2013 AHA/ACC/TOS guideline for the management of overweight and obesity in adults: a report of the American College of Cardiology/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines and The Obesity Society. J Am Coll Cardiol 2014;63:2985-3023. DOI: 10.1016/j.jacc.2013.11.004
  3. Sculier J.P. Le sémaglutide, un agoniste de la GLP-1, permet d’obtenir, en association avec des mesures diététiques et de l’exercice, une réduction significative du poids après un an de traitement chez les adultes en surpoids ou obèses et sans diabète sucré. MinervaF 2021;20(9):114-7.
  4. Wilding JP, Batterham RL, Calanna S, et al. Once-weekly semaglutide in adults with overweight or obesity. N Engl J Med 2021;384:989. DOI: 10.1056/NEJMoa2032183
  5. Drucker DJ. GLP-1 physiology informs the pharmacotherapy of obesity. Mol Metab 2022;57:101351. DOI: 10.1016/j.molmet.2021.101351
  6. Lundgren JR, Janus C, Jensen SB, et al. Healthy weight loss maintenance with exercise, liraglutide, or both combined. N Engl J Med 2021;384:1719-30. DOI: 10.1056/NEJMoa2028198
  7. Jøns C , Porta-Sánchez A, Lai PF, et al. Mechanism of and strategy to mitigate liraglutide-mediated positive chronotropy Life Sci 2021;282:119815. DOI: 10.1016/j.lfs.2021.119815
  8. Doggrell SA. Adding liraglutide to diet and exercise to maintain weight loss - is it worth it? Expert Opin Pharmacother 2022;23:447-51. DOI: 10.1080/14656566.2021.2019707
  9. Elagizi A, Kachur S, Carbone S, et al. A review of obesity, physical activity, and cardiovascular disease. Curr Obes Rep 2020;9:571-81. DOI: 10.1007/s13679-020-00403-z
  10. Wharton S, Lau DC, Vallis M, et al. L’obésité chez l’adulte : ligne directrice de pratique clinique. CMAJ 2020;192:E1757-E1775. DOI: 10.1503/cmaj.191707-f
  11. Wadden TA, Hollander P, Klein S, et al. Weight maintenance and additional weight loss with liraglutide after low-calorie-diet-induced weight loss: the SCALE Maintenance randomized study. Int J Obes 2013;37:1443-51. DOI: 10.1038/ijo.2013.120

 

 


Auteurs

Vanhaeverbeek M.
Laboratoire de Médecine Factuelle, Faculté de Médecine, ULB
COI : Absence de conflits d’intérêt avec le sujet.

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