Revue d'Evidence-Based Medicine



Un programme d’exercice après une chirurgie non reconstructrice pour cancer du sein chez les patientes à risque de développer une complication post-opératoire ?



Minerva 2022 Volume 21 Numéro 5 Page 100 - 103

Professions de santé

Kinésithérapeute, Médecin généraliste

Analyse de
Bruce J, Mazuquin B, Canaway A, et al. Exercise versus usual care after non-reconstructive breast cancer surgery (UK PROSPER): multicentre randomised controlled trial and economic evaluation. BMJ 2021;375:e066542. DOI: 10.1136/bmj-2021-066542


Question clinique
Quel est l’impact d’un programme d’exercices versus soins usuels chez les patientes à haut risque de complications au niveau du membre supérieur après chirurgie pour cancer du sein ?


Conclusion
Cette RCT, de bonne qualité méthodologique, montre que chez des patientes présentant un cancer du sein devant être opéré et à risque de développer des complications post-opératoires, un programme structuré d’exercices permet d’améliorer après 1 an, versus soins usuels, la fonction du membre supérieur sans occasionner plus de risques. Ce programme n’a été pratiqué que par des kinésithérapeutes spécialisés et sur des patientes motivées.


Contexte

Dans un précédent article de Minerva, publié en 2011, nous avions analysé une RCT démontrant une probable efficacité, versus soins usuels, de la kinésithérapie précoce sur la survenue des œdèmes lymphatiques du membre supérieur, chez les patientes avec cancer du sein unilatéral traité par chirurgie avec curage axillaire. Les résultats demandaient cependant à être confirmés, puisque la puissance requise n’était pas atteinte (1,2) . Par ailleurs, de nombreuses inconnues persistent sur l’impact des exercices post-opératoires, notamment chez les patientes les plus à risque de développer des complications au niveau des membres supérieurs, qui sont souvent exclues des protocoles (3) . Cette nouvelle étude, randomisée, contrôlée, multicentrique et pragmatique, tente d’éclaircir cette question (3).

 

Résumé

 

Population étudiée

  • femmes âgées de 18 ans ou plus avec cancer du sein nouvellement diagnostiqué confirmé par biopsie, invasif ou non, relevant d’un traitement chirurgical, et à haut risque de développer des complications au niveau du membre supérieur sur base d’un des critères suivants :
    • BMI ≥ 30
    • chirurgie de curage axillaire
    • radiothérapie axillaire ou sus-claviculaire planifiée dans les 6 semaines post-opératoires
    • pathologie préexistante au niveau du membre supérieur
  • les critères d’exclusion étaient :
    • chirurgie reconstructrice immédiate
    • chirurgie bilatérale
    • présence de métastases au moment du recrutement
    • biopsie du ganglion sentinelle prévue sauf si la patiente présente d’autres facteurs de haut risque précités
  • les patientes ont été recrutées dans 17 centres hospitaliers du NHS au Royaume Uni entre 2016 et 2018 ; au total, 392 patientes ont été recrutées (entre 28 et 88 ans, âge moyen 58 ans).

 

Protocole de l’étude 

Le protocole a fait l’objet d’une publication antérieure et a été correctement enregistré. Nous retenons :

  • intervention : basée sur un programme d’exercices structurés démarrés dans les 6 semaines post-opératoires avec pour objectif une amélioration du niveau d’activité physique, des mouvements de l’épaule et de la force musculaire
    • un manuel présentant des exercices de flexion, abduction, adduction, sert de référence pour l’élaboration de plans d’exercices personnalisés pour chaque patiente.
    • 3 sessions sont organisées avec un kinésithérapeute spécialisé : la première 7-10 jours après l’intervention (durée : 1h), la deuxième 1 mois après et la troisième 3 mois après (durée : 30 min)
    • 150 minutes d’activité physique par semaine, à domicile, sont conseillées aux patientes
    • un dépliant informatif sur l’exercice leur est donné
  • comparateur : dépliant informatif sur l’exercice avec si nécessaire des soins de rééducation laissés à la discrétion de l’oncologue
  • randomisation dont la séquence a été générée par ordinateur via un opérateur indépendant
  • réalisation en simple aveugle
  • analyse en intention de traiter
  • nombre de sujets : il est évalué à 242 pour atteindre une puissance de 80%.

 

Mesure des résultats

  • le critère de jugement primaire est la comparaison des points obtenus au questionnaire DASH (Disabilities of Arm, Shoulder and Hand) à 12 mois ; celui-ci comprend 30 questions portant sur les symptômes, la fonction et l’impact social du handicap du membre supérieur ; il varie de 0 (aucun problème) à 100 (handicap maximal) ; une différence de 7 points entre les deux groupes est considérée comme cliniquement pertinente par les auteurs
  • les critères de jugement secondaires sont :
    • douleur évaluée à 12 mois sur une échelle numérique de douleur neuropathique (Douleur Neuropathique Questionnaire, échelle de 0 à 10)
    • complications
    • qualité de vie liée à la santé
    • effets indésirables liés au traitement
    • résultats sur le questionnaire de handicap du FACT-B+4
    • utilisation des ressources, évaluée sur base d’une consommation de soins auto-rapportée par les patients et sur les données hospitalières du NHS
  • le recueil des données est réalisé sur base de questionnaires envoyés par la poste aux participants puis retournés aux investigateurs
  • analyse en intention de traiter.

 

Résultats

  • 392 patientes sont recrutées, 196 dans le groupe intervention et 196 dans le groupe contrôle
    • groupe intervention : 5 femmes ont été randomisées par erreur et donc retirées ; 191 femmes ont été à au moins 1 rendez-vous, 75% ont été aux 3 sessions ; on retient 18 retraits de l’étude, 32 perdues de vue et 2 décès
    • groupe contrôle : 3 femmes ont été randomisées par erreur, 2 ont retiré leur consentement ; après avoir reçu le traitement, on note 22 retraits d’étude, 3 décès et 31 perdues de vue
  • critère de jugement primaire :
    • DASH du groupe intervention (n = 132) : 16,3
    • DASH du groupe contrôle (n = 138) : 23,7
    • différence moyenne entre les deux groupes à 12 mois : 7,81 (avec IC à 95% de 3,17 à 12,44 ; p = 0,001)
  • critères de jugement secondaire :
    • douleur à 12 mois : différence moyenne entre les deux groupes de -0,68 en faveur du groupe intervention (avec IC à 95% de -1,23 à -0,12 ; p = 0,02).
    • complications et effets indésirables liés au traitement : pas de différence entre les deux groupes
    • handicap à 12 mois mesuré sur l’échelle FACTB+4 : différence moyenne entre les deux groupes de -2,02 (avec IC à 95% de -3,11 à -0,93 ; p = 0,001) en faveur du groupe intervention.
    • utilisation des ressources et qualité de vie liée à la santé : le traitement par exercice représente un rapport coût-efficacité favorable, avec un coût direct certes plus élevé (+129 £ soit 152 € par patient en moyenne) mais un coût global basé sur l’utilisation des soins de santé moins élevé (-387 £ soit -457 € par patient en moyenne versus groupe contrôle, avec IC à 95% de -2491 £ à +1718 £ selon les valeurs de 2015) ; il permet d’augmenter significativement le temps passé en bonne santé (+ 0,029 QALY versus soins usuels ; p = 0,04).

 

Conclusion des auteurs

Les auteurs concluent que chez les patientes avec un cancer du sein à haut risque de complications post-opératoires du membre supérieur, le traitement par exercices structurés est plus efficace que les soins usuels et présente un rapport coût-efficacité favorable.

 

Financement de l’étude

Financement public par le National Institute for Health Research au Royaume-Uni.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Aucun conflit d’intérêt déclaré.

 

 Discussion 

Évaluation de la méthodologie

Il s’agit là d’une RCT de bonne qualité méthodologique :

  • le protocole est bien décrit et a été prépublié ; il n’y a pas de différence majeure entre le protocole initial et celui présenté dans cet article (4)
  • le financement est public avec absence de conflits d’intérêts
  • le nombre de sujets nécessaires pour atteindre la puissance requise est atteint
  • le processus de randomisation est correct
  • l’étude est en simple aveugle mais cela est justifié par le type d’intervention
  • le programme d’intervention a été développé à partir d'une revue de la littérature effectuée par les chercheurs et d'une consultation avec les parties prenantes, y compris les patientes atteintes d'un cancer du sein qui suivent un traitement actif, les groupes de soutien communautaires contre le cancer, les kinésithérapeutes, les spécialistes de la réadaptation et les chirurgiens
  • il existe un certain degré de variabilité dans le traitement des patientes du groupe intervention puisque le programme peut être personnalisé, mais les exercices proposés sont standardisés dans un manuel
  • les critères de jugement sont évalués sur base de questionnaires validés
  • les résultats sont mis en perspective avec le calcul d’un rapport coût-efficacité et une évaluation qualitative auprès des patients et des kinésithérapeutes est prévue.

 

Quelques éléments sont néanmoins à noter :

  • d’après le protocole initialement prévu, le groupe contrôle ne semble recevoir qu’un dépliant d’information ; or, dans cet article, il semble que de la rééducation ait été tout de même autorisée au cas par cas ; ceci s’inscrit dans une démarche pragmatique et n’a probablement pas eu beaucoup d’impact sur les résultats
  • le résultat de la randomisation est satisfaisant mais il existe deux variables pour lesquelles des différences sont à noter :
    • il y a 2 fois plus de patientes traitées par radiothérapie dans le groupe intervention (peut amenuiser l’effet bénéfique de l’intervention)
    • il y a plus de patientes présentant un handicap initial au niveau du membre supérieur dans le groupe exercice (29 versus 45) (susceptible de favoriser l’effet bénéfique de l’exercice)
  • des patientes sont retirées de l’étude car elles ont été « randomisées par erreur », sans qu’on ne sache exactement ce que cela sous-entend.

 

Interprétation des résultats

Quelques points sont à relever :

  • le rapport bénéfices-risques de cette intervention est favorable
  • le seuil de pertinence clinique fixé par les auteurs est à peine atteint, suggérant un effet plutôt modeste de l’intervention ; de plus, il ne semble pas y avoir d’effet de l’intervention sur la pratique d’activité physique en général, ce qui en tempère encore l’intérêt
  • l’extrapolabilité des résultats est à questionner puisque :
    • les kinésithérapeutes impliqués sont des kinés spécialisés ; on ne connaît pas l’efficacité du même programme pratiqué par des kinés « tout-venant »
    • les patientes sont incluses si elles sont motivées à participer (comme mentionné dans le protocole initial), ce qui pourrait ne pas correspondre à la réalité.

Que disent les guides de pratique clinique ?

Le guide de pratique du NICE recommande de proposer dès le premier jour post-opératoire des exercices fonctionnels pour le membre supérieur sur base d’un dépliant rédigé avec des kinésithérapeutes et de référer les patientes avec une réduction persistante de la mobilité du membre supérieur vers des kinésithérapeutes spécialisés (5) . DynaMed rapporte une étude de la Cochrane appuyant l’usage de l’exercice précocement après la chirurgie pour améliorer la fonction du membre supérieur, au prix d’un suintement plus important de la plaie (6) .

 

Conclusion de Minerva

Cette RCT, de bonne qualité méthodologique, montre que chez des patientes présentant un cancer du sein devant être opéré et à risque de développer des complications post-opératoires, un programme structuré d’exercices permet d’améliorer après 1 an, versus soins usuels, la fonction du membre supérieur sans occasionner plus de risques. Ce programme n’a été pratiqué que par des kinésithérapeutes spécialisés et sur des patientes motivées.

 

 

Références 

  1. Vanwelde C. Kinésithérapie précoce en prévention de l’œdème lymphatique après chirurgie du cancer du sein ? MinervaF 2011;10(2):19-20.
  2. Torres Lacomba M, Yuste Sánchez MJ, Zapico Goñi A, et al. Effectiveness of early physiotherapy to prevent lymphoedema after surgery for breast cancer: randomised, single blinded, clinical trial. BMJ 2010;340:b5396. DOI: 10.1136/bmj.b5396
  3. Bruce J, Mazuquin B, Canaway A, et al. Exercise versus usual care after non-reconstructive breast cancer surgery (UK PROSPER): multicentre randomised controlled trial and economic evaluation. BMJ 2021;375:e066542. DOI: 10.1136/bmj-2021-066542
  4. Bruce J, Williamson E, Lait C, et al; PROSPER Study Group. Randomised controlled trial of exercise to prevent shoulder problems in women undergoing breast cancer treatment: study protocol for the prevention of shoulder problems trial (UK PROSPER). BMJ Open 2018;8:e19078. DOI: 10.1136/bmjopen-2017-019078
  5. National Institute for Health and Care Excellence. Early and locally advanced breast cancer: diagnosis and management. NICE guideline [NG101] [cité le 11 mai 2022]. Disponible sur: https://www.nice.org.uk/guidance/ng101/chapter/Recommendations#lymphoedema
  6. DynaMed. Breast Cancer in Women. [cité le 11/05/2022]. Disponible sur: https://www-dynamed-com.gateway2.cdlh.be/condition/breast-cancer-in-women#EXERCISE_FOR_SHOULDER_MOBILITY

 

 




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