Revue d'Evidence-Based Medicine



Prévention secondaire des maladies cardiovasculaires au moyen d’un régime méditerranéen par comparaison avec un régime pauvre en lipides.



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 2 Page 32 - 35

Professions de santé

Diététicien, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Delgado-Lista J, Alcala-Diaz JF, Torres-Peña JD, et al; CORDIOPREV Investigators. Long-term secondary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet and a low-fat diet (CORDIOPREV): a randomised controlled trial. Lancet 2022;399:1876-85. DOI: 10.1016/S0140-6736(22)00122-2


Question clinique
Quel est l’effet d’un régime méditerranéen, par comparaison avec un régime pauvre en lipides, pour la prévention secondaire des événements cardiovasculaires graves chez les patients atteints d’une coronaropathie connue ?


Conclusion
Cette étude randomisée, contrôlée, menée en ouvert, bien conçue sur le plan méthodologique, l’évaluation de l’effet étant effectuée en aveugle, la durée du suivi étant de 7 ans, montre que le régime méditerranéen protège mieux qu’un régime pauvre en lipides contre les événements cardiovasculaires graves chez des patients atteints de coronaropathie stable connue.


Contexte

Le mode de vie et en particulier l’alimentation sont des facteurs de risque importants de morbidité cardiovasculaire. La réduction de l’apport en lipides (limitée à 25% à 35% de l’apport calorique total) a été considérée pendant des décennies comme l’intervention nutritionnelle standard pour la prévention des maladies cardiovasculaires, bien que les preuves en soient plutôt indirectes (1). Peu à peu, on s’est aussi penché sur la composition et la teneur des glucides en fibres pour remplacer les lipides. Finalement, l’attention s’est portée sur les habitudes alimentaires plutôt que sur un seul nutriment (2). Le régime méditerranéen est le régime le plus étudié et le plus efficace dans de nombreuses maladies chroniques. Il se caractérise par une importante consommation de fruits, de légumes, de céréales, de viande blanche, de poisson et d’huile d’olive. L’étude Predimed, qui a fait l’objet d’une discussion dans Minerva, a montré le bénéfice d’un régime méditerranéen pour la prévention cardiovasculaire primaire chez des personnes présentant un risque cardiovasculaire accru (3,4). 

 

 

Résumé

Population étudiée

  • critères d’inclusion : hommes et femmes ayant entre 20 et 75 ans et présentant une coronaropathie connue (infarctus du myocarde aigu, hospitalisation pour angor instable, risque élevé de cardiopathie ischémique d’après les examens d’imagerie), sans événement coronarien aigu au cours des six derniers mois, sans affection grave connue et avec une espérance de vie excédant la durée de l’étude
  • critères d’exclusion : comorbidité grave telle qu’une insuffisance cardiaque, une insuffisance respiratoire, une insuffisance rénale ou un cancer 
  • finalement, inclusion de 1002 personnes, dont 82,5% de sexe masculin, d’âge moyen de 59,5 ans (ET 8,7 ans) ; 61,9% avaient des antécédents d’infarctus du myocarde, 14,9% avaient des antécédents familiaux de coronaropathie à un âge précoce, 53,9% avaient le diabète, 68,2% présentaient de l’hypertension artérielle ; le BMI était de 31,1 kg/m² en moyenne ; le taux de cholestérol total était de 159 mg/dl en moyenne ; 9,7% fumaient et 86,6% étaient sous statines.

 

Protocole de l’étude 

Étude contrôlée randomisée, en ouvert, l’évaluation de l’effet étant effectuée en aveugle, menée dans un centre en Espagne, avec deux groupes de régime alimentaire (5):

  • régime méditerranéen (n = 502) : au moins 35% de lipides (< 10% graisses saturées ; chaque famille recevait gratuitement 1 litre d’huile d’olive extra vierge par semaine), 15% de protéines, moins de 50% de glucides ; consommation facultative de vin pour les personnes qui en buvaient habituellement (maximum 1 verre par jour pour les femmes et 2 verres par jour pour les hommes)
  • régime pauvre en lipides (n = 500) : moins de 30% de lipides (< 10% graisses saturées, 15% de protéines, au moins 55% de glucides principalement complexes (c’est-à-dire riches en fibres) (mis à disposition gratuitement dans des colis alimentaires « sains ») ; la consommation de vin n’était pas autorisée
  • dans les deux groupes de régime alimentaire, la teneur en cholestérol était maintenue sous 300 mg/jour, aucune restriction calorique n’était imposée, et l’activité physique n’a pas été explicitement encouragée
    suivi médian de 7 ans avec des contacts en face à face tous les 6 mois, des séances de groupe tous les 3 mois et des contacts téléphoniques tous les 2 mois.

 

Mesure des résultats

  • principal critère de jugement : critère d’évaluation composite combinant des événements cardiovasculaires graves, tels que l’infarctus du myocarde, la revascularisation, l’AVC ischémique, la maladie artérielle périphérique et le décès d’origine cardiovasculaire
  • critères de jugement secondaires : 27 critères de jugement supplémentaires, dont deux variations sur le critère d’évaluation composite principal, les composants individuels du critère d’évaluation composite principal et les facteurs métaboliques tels que les lipides et le métabolisme des glucides
  • analyse en intention de traiter
  • analyse avec sept modèles de risques proportionnels de Cox différents, chacun d’entre eux étant corrigé pour tenir compte des autres covariables, allant de l’âge et du sexe uniquement (Modèle 1) à l’ensemble des variables (charge coronarienne familiale, statut tabagique, IMC, cholestérol LDL, diabète, hypertension, consommation de médicaments, variation du poids et activité physique) (Modèle 7)
  • analyse de sous-groupes selon l’âge, le sexe et la comorbidité
  • analyse de sensibilité excluant les critères de jugement principaux au premier mois et au premier semestre ; uniquement avec les patients ayant respecté leur régime > 80%.

 

Résultats

  • sorties d’étude : 17,2% dans le groupe régime pauvre en lipides contre 9,2% dans le groupe régime méditerranéen
  • principal critère de jugement : 87 (17,3%) dans le groupe régime méditerranéen contre 111 (22,2%) dans le groupe régime pauvre en lipides ; 28,1 par 1 000 années-personnes dans le groupe régime méditerranéen contre 37,7 dans le groupe régime pauvre en lipides ; le rapport de hasards (hazard ratio, HR) à variables multiples allait de 0,719 (IC à 95% de 0,541 à 0,957) à 0,753 (IC à 95% de 0,568 à 0,998) en faveur du régime méditerranéen
  • l’analyse des sous-groupes a montré un effet plus important chez les personnes de sexe masculin, chez les personnes de moins de 70 ans, dans le groupe sans antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire, dans le groupe sans hypertension artérielle et dans le groupe avec un cholestérol LDL inférieur à 100 mg/dl
  • analyses de sensibilité : l’effet le plus important a été observé dans le groupe avec une observance du régime alimentaire supérieure à 80%. 

 

Conclusion des auteurs

Pour la prévention secondaire des événements cardiovasculaires graves, le régime méditerranéen était supérieur au régime pauvre en lipides. Ces résultats sont pertinents pour la pratique clinique et soutiennent l’utilité du régime méditerranéen dans le cadre de la prévention secondaire.

 

Financement de l’étude 

Fundacion Patrimonio Comunal Olivarero ; Fundacion Centro para la Excelencia et Investigacion sobre Aceite de Oliva y Salud ; gouvernements espagnols locaux, régionaux et nationaux ; Union européenne.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Plusieurs auteurs ont reçu, de diverses institutions et sociétés pharmaceutiques, des financements pour la recherche ou pour des conférences, mais ils indiquent que ces paiements sont sans rapport avec l’étude en cours.

 

 

Discussion

Considérations sur la méthodologie

La randomisation dans cette étude randomisée contrôlée a été stratifiée en blocs selon l’âge, le sexe et les antécédents d’infarctus du myocarde aigu. Dans cette étude comme dans toute étude portant sur une intervention nutritionnelle, il était impossible que l’attribution du régime alimentaire ait lieu en aveugle des diététiciens et des patients. Les consultations diététiques et le suivi clinique étaient strictement distincts pour essayer que les médecins soient en aveugle et que l’évaluation de l’effet ait lieu en aveugle également. On peut cependant imaginer qu’il n’était pas évident pour les patients de ne pas parler à leur médecin du régime alimentaire qui leur était attribué, et ce pendant toute l’étude, qui durait longtemps. Savoir quel régime est attribué peut avoir une influence sur le respect plus ou moins strict des instructions diététiques. Par exemple, le régime méditerranéen étant à la mode, les participants du groupe témoin pourraient avoir été démotivés, avec pour conséquence un taux d’abandons inégal. L’observance du régime imposé était contrôlée six fois par an à l’aide d’instruments spécifiques, et il est apparu qu’après une amélioration au cours de la première année (due à l’effet d’apprentissage), l’observance est restée assez stable tout au long de l’étude. Cependant, le nombre de participants ayant arrêté de suivre le régime alimentaire imposé n’était pas le même dans les deux groupes : 17,2% dans le groupe régime pauvre en lipides contre 9,2% dans le groupe régime méditerranéen. 84,8% des participants qui ont arrêté ont donné la permission de continuer à utiliser leurs données médicales et d’être contactés par téléphone pendant toute la durée de l’étude. Cela a permis de réduire considérablement le nombre de données manquantes, mais on ne sait pas quel régime alimentaire les participants qui ont arrêté ont suivi par la suite. Comme les chercheurs ont opté pour un critère de jugement principal objectif, l’absence de mise en aveugle des participants a probablement peu d’influence sur le résultat.
L’étude a été réalisée dans un seul centre, ce qui a permis d’organiser le suivi de manière homogène dans les deux groupes au cours du suivi sur le long terme. De plus, le suivi sur le long terme, dont la durée médiane était de 7 ans, est unique pour une étude d’intervention aussi complexe, et cela renforce la fiabilité des résultats.
Le calcul de la taille de l’échantillon était basé sur des incidences réalistes du critère de jugement principal, à savoir une incidence cumulée absolue de 24,9% après 7 ans dans le groupe régime pauvre en lipides. Des analyses intermédiaires ont été effectuées pour éventuellement arrêter l’étude précocement (ou la prolonger), mais, après 7 ans, le nombre cible d’événements avait été atteint.

 

Discussion des résultats

Le taux d’événements cardiovasculaires et la mortalité était plus faibles que dans d’autres études avec une population comparable (6). Cela peut être dû au fait que tous les participants ont été traités de manière maximale, avec des statines, des antihypertenseurs et des anticoagulants. Il est également possible que les deux régimes alimentaires aient eu un effet bénéfique sur le critère de jugement principal. Mais pour étayer cela, il aurait fallu comparer les deux interventions avec un groupe régime alimentaire placebo. Pour la même raison, cette étude ne permet pas de déduire la valeur ajoutée absolue d’un régime pauvre en lipides. Ce qui est frappant, c’est le taux d’abandons plus élevé dans le groupe régime pauvre en lipides, que les auteurs n’expliquent pas clairement. Le fait que l’étude ait été menée dans un seul centre d’un pays méditerranéen rend difficile l’extrapolation des résultats à d’autres milieux et à d’autres pays, même si le régime méditerranéen est bien accepté dans nos contrées. Cette étude comble certainement une lacune dans les preuves sur le rôle d’une bonne nutrition pour la prévention secondaire des maladies cardiovasculaires. Une précédente revue Cochrane avait clairement montré ce manque d’études valides en prévention cardiovasculaire secondaire (7). Seule la Lyon Diet Heart Study a pu être retenue et, malgré quelques lacunes méthodologiques, elle a également montré un effet bénéfique d’un régime méditerranéen (preuves de faible qualité) (8).
 
Que disent les guides de pratique clinique ?

La plupart des guides de pratique clinique pour la prévention cardiovasculaire se concentrent sur une approche médicamenteuse maximale et bien sûr aussi sur le sevrage tabagique. De plus, une alimentation saine et une activité physique régulière sont recommandées sans distinction entre prévention primaire et prévention secondaire (9). On parle de plus en plus du régime méditerranéen comme d’un régime alimentaire sain. On sait aussi plus clairement que la composition des lipides (graisses saturées ou graisses mono-insaturées et polyinsaturées) et des glucides (glucides peu raffinés avec beaucoup de fibres) consommés prime sur le pourcentage absolu des macronutriments dans l’alimentation. Les aliments ultra-transformés sont également déconseillés (2-10).

 

 

Conclusion de Minerva

Cette étude randomisée, contrôlée, menée en ouvert, bien conçue sur le plan méthodologique, l’évaluation de l’effet étant effectuée en aveugle, la durée du suivi étant de 7 ans, montre que le régime méditerranéen protège mieux qu’un régime pauvre en lipides contre les événements cardiovasculaires graves chez des patients atteints de coronaropathie stable connue. 
 

 

 

Références 

  1. Dalen JE, Devries S. Diets to prevent coronary heart disease 1957-2013: what have we learned? Am J Med 2014;127:364-9. DOI: 10.1016/j.amjmed.2013.12.014
  2. Skinner JS, Cooper A. Secondary prevention of ischaemic cardiac events. BMJ Clin Evid 2011;2011:0206. PMCID: PMC3217663.
  3. Roberfroid D. Prévention primaire des maladies cardiovasculaires par une alimentation de type méditerranéen. MinervaF 2014;13(1):8-9.
  4. Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, et al. Primary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet. N Engl J Med 2013;368:1279-90. DOI: 10.1056/NEJMc1806491
  5. Delgado-Lista J, Alcala-Diaz JF, Torres-Peña JD, et al; CORDIOPREV Investigators. Long-term secondary prevention of cardiovascular disease with a Mediterranean diet and a low-fat diet (CORDIOPREV): a randomised controlled trial. Lancet 2022;399:1876-85. DOI: 10.1016/S0140-6736(22)00122-2
  6. Sánchez Fernández JJ, Ruiz Ortiz M, Ogayar Luque C, et al. Longterm survival in a Spanish population with stable ischemic heart disease. Rev Esp Cardiol (Engl Ed) 2019; 72:827-34. DOI: 10.1016/j.rec.2018.08.019
  7. Rees K, Takeda A, Martin N, et al. Mediterranean-style diet for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 201, Issue 3. DOI: 10.1002/14651858.CD009825.pub3
  8. de Lorgeril M, Salen P, Martin JL, et al. Mediterranean diet, traditional risk factors, and the rate of cardiovascular complications after myocardial infarction: final report of the Lyon Diet Heart Study. Circulation 1999;99:779-85. DOI: 10.1161/01.cir.99.6.779
  9. Cardiovasculair risicomanagement (M84). NHG-Standaard, juni 2019. 
  10. Visseren FL, Mach F, Smulders YM, et al, ESC Scientific Document Group. 2021 ESC Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice: developed by the Task Force for cardiovascular disease prevention in clinical practice with representatives of the European Society of Cardiology and 12 medical societies with the special contribution of the European Association of Preventive Cardiology (EAPC). Eur Heart J 2021;42:3227-337. DOI: 10.1093/eurheartj/ehab484 

 




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