Revue d'Evidence-Based Medicine



Quel est l’effet du traitement parodontal sur la régulation de la glycémie chez les patients diabétiques ?



Minerva 2023 Volume 22 Numéro 2 Page 36 - 39

Professions de santé

Dentiste, Médecin généraliste, Pharmacien

Analyse de
Simpson TC, Clarkson JE, Worthington HV, et al. Treatment of periodontitis for glycaemic control in people with diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2022, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD004714.pub4


Question clinique
Quel est l’effet du traitement parodontal, par comparaison avec l’absence de traitement ou avec les soins habituels, sur la régulation de la glycémie chez les personnes atteintes de diabète sucré et de parodontite ?


Conclusion
Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, montre que le traitement parodontal utilisant des instruments sous-gingivaux améliore la régulation de la glycémie chez les personnes atteintes à la fois de parodontite et de diabète, par comparaison avec l’absence de traitement ou avec les soins habituels. Il s’agit d’une diminution absolue de l’HbA1c de 0,43% 3 à 4 mois après le traitement se maintenant après 6 et 12 mois. Le niveau de certitude des preuves est considéré comme modéré en raison d’un risque élevé de biais dans environ la moitié des études.


Contexte

L’étude UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study) a montré qu’un traitement intensif de l’hyperglycémie dans le diabète sucré de type 2 entraînait une réduction à long terme des complications microvasculaires et macrovasculaires (1-4). La parodontite est une inflammation chronique qui détruit les tissus de soutien des dents. Une mauvaise régulation de la glycémie est un facteur de risque important de développement de parodontite (5). Inversement, l’inflammation locale chronique associée à la parodontite peut induire une inflammation généralisée (6) susceptible d’entraîner une résistance à l’insuline. Ainsi, la relation entre la régulation de la glycémie et la parodontite va dans les deux sens (5). Le traitement de la parodontite consiste en une instrumentation sous-gingivale. Cela consiste en une élimination des débris, de la plaque dentaire (biofilm) et du tartre sous la ligne des gencives par un professionnel qui utilise des instruments manuels ou un appareil à ultrasons. Ce traitement est également appelé « détartrage », « surfaçage radiculaire », « débridement mécanique » ou « traitement parodontal non chirurgical ». L’instrumentation sous-gingivale est parfois associée à l’utilisation d’antiseptiques, d’agents antimicrobiens topiques ou systémiques, sans que l’on sache dans quelle mesure c’est bénéfique (7). Les formes sévères de parodontite peuvent nécessiter une ouverture chirurgicale du tissu gingival pour une instrumentation sous-gingivale efficace. Une revue systématique Cochrane de 2015 (8) a conclu que le traitement parodontal, comparé aux soins habituels ou à l’absence d’intervention, entraînait une réduction absolue de l’HbA1c de 0,29% après 3 à 4 mois. Le niveau de preuve était toutefois faible et des études nouvellement menées depuis 2015 (9) pourraient modifier la conclusion. 

 

 

Résumé

Méthodologie

Synthèse méthodique avec méta-analyse.

 

Sources consultées

  • le registre Cochrane des études sur la santé buccale, le registre central Cochrane des essais contrôlés (Cochrane Central Register of Controlled Trials, CENTRAL), MEDLINE Ovid, Embase Ovid, CINAHL EBSCO (Cumulative Index to Nursing and Allied Health Literature), LILACS BIREME Virtual Health Library (base de données d’informations d’Amérique latine et des Caraïbes sur les sciences de la santé) (jusqu’au 7 septembre 2021)  
  • rapports de conférence via Web of Science et ZETOC (jusqu’au 7 septembre 2021)  
  • études en cours via le registre des essais en cours des Instituts américains de la santé (National Institutes of Health) et la plate-forme internationale d’enregistrement des essais cliniques de l’Organisation mondiale de la santé (jusqu’au 7 septembre 2021) 
  • recherche manuelle dans Annals of Periodontology et Periodontology (jusqu’en 2003)
  • consultation des auteurs et recherche dans la bibliographie des articles pertinents 
  • pas de restriction quant à la langue de publication, ou restrictions en fonction du statut de publication et de l’année de publication.

 

Études sélectionnées

  • 35 études randomisées contrôlées (RCTs) avec suivi d’une durée d’au moins 90 jours après la fin de tout traitement professionnel de la parodontite (instrumentation sous-gingivale avec ou sans rinçage de la bouche à la chlorhexidine, antibiotiques topiques ou systémiques ; traitement chirurgical ; extraction dentaire) par rapport à l’absence de traitement (ou un traitement différé) ou aux soins habituels (consignes d’hygiène bucco-dentaire, nettoyage supragingival) en termes de variation de l’HbA1c 
  • la plupart des études se sont déroulées à l’hôpital, deux études ont été menées dans un établissement de soins primaires et trois dans un établissement communautaire ; les études incluaient 18 à 193 patients par étude ; le suivi variait de 3 à 12 mois (habituellement 3 à 4 mois, 13 études jusqu’à 6 mois et 1 étude jusqu’à 12 mois)
  • exclusion des études « split-mouth » (en bouche fractionnée) et des études croisées.

 

Population étudiée

  • au total, inclusion de 3249 patients âgés de 18 à 80 ans atteints de diabète sucré de type 1 ou de type 2, qu’il soit bien contrôlé (HbA1c < 7,5%), modérément contrôlé (HbA1c entre 7,5% et 8,4%) ou mal contrôlé (> 8,5%), et de parodontite de sévérité variable  
  • exclusion des études dans lesquelles > 10% des sujets souffraient de diabète gestationnel ou dans lesquelles étaient inclus des patients atteints du syndrome métabolique.

 

Mesure des résultats 

  • critère de jugement principal : régulation de la glycémie mesurée par l’HbA1c
  • critères de jugement secondaires :
    • critères de jugement parodontaux, tels que la perte d'attache clinique (Clinical Attachment Level, CAL), la profondeur de poche au sondage, le saignement au sondage (Bleeding On Probing, BOP), les indices gingivaux et les indices de plaque
    • qualité de vie 
    • effets indésirables du traitement
    • complications du diabète
    • coûts
  • méta-analyse suivant le modèle à effets aléatoires avec données en intention de traiter
  • analyse de sensibilité des études à faible risque de biais
  • analyses de sous-groupes en fonction du type d’intervention et de contrôle, diabète de type 1 ou de type 2, niveau de contrôle glycémique, milieu où l’étude est menée, traitement d’entretien ou absence de traitement d’entretien dans les études d’une durée > 3 mois.

 

Résultats 

  • résultats du critère de jugement principal : 
    • 3 à 4 mois après le traitement, l’HbA1c était en moyenne inférieure de 0,43% (IC à 95% de -0,59% à -0,28%) dans le groupe traitement par rapport au groupe témoin (N = 30 études, n = 2443 patients ; I² = 70% ; GRADE modéré)
    • 6 mois après le traitement, l’HbA1c était en moyenne inférieure de 0,30% (IC à 95% de -0,52% à -0,08%) dans le groupe traitement par rapport au groupe témoin (N = 12 études, n = 1457 patients ; I² = 80%)
    • 1 an après le traitement, l’HbA1c était en moyenne inférieure de 0,50% (IC à 95% de -0,55% à -0,45%) dans le groupe traitement par rapport au groupe témoin (N = 1 étude, n = 264 patients)
  • résultats des critères de jugement secondaires :
    • tous les résultats parodontaux étaient meilleurs dans le groupe traitement que dans le groupe témoin à 3-4 mois et à 6 mois (p < 0,001)
    • les effets indésirables n’ont pas été rapportés dans 22 études ; 6 études n’ont rapporté aucun effet indésirable, 3 études n’ont rapporté que des effets indésirables légers, 4 études ont également rapporté des effets indésirables graves qui n’étaient pas liés à l’intervention
    • seules 3 études ont évalué la qualité de vie et ont montré des résultats mitigés
    • 4 études ont également étudié le rapport coût-efficacité, mais il n’a pas été possible d’en tirer des conclusions définitives.

 

Conclusion des auteurs

Cette mise à jour d’une revue publiée en 2015 a doublé le nombre d’études et de participants inclus. Cela a modifié les conclusions concernant le principal critère de jugement, à savoir la régulation de la glycémie, ainsi que le niveau de certitude. Nous avons maintenant des preuves, dont le niveau de certitude est modéré, que le traitement parodontal utilisant des instruments sous-gingivaux améliore de manière cliniquement significative la régulation de la glycémie chez les personnes atteintes à la fois de parodontite et de diabète, par comparaison avec l’absence de traitement ou avec les soins habituels. Il est peu probable que d’autres études sur l’effet du traitement parodontal par rapport à l’absence de traitement ou aux soins habituels modifient la conclusion générale de cette revue.

 

Financement de l’étude

Le financement est détaillé dans une annexe par étude sélectionnée.

 

Conflits d’intérêt des auteurs

Les conflits d’intérêt des auteurs sont détaillés dans une annexe par étude sélectionnée.

 

 

Discussion

Évaluation de la méthodologie

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse part d’une question claire avec tous les éléments PICO. Il est clair que le traitement paradental signifie "instrumentation sous-gingivale" et que le contrôle signifie "soins habituels". Deux chercheurs ont réalisé les différentes étapes du processus de manière indépendante. La stratégie de recherche était très large et est décrite en détail dans le texte de la publication. Le risque de biais a été évalué à l’aide du manuel Cochrane pour les synthèses méthodiques portant sur des interventions (Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions). Le type d’intervention n’a pas permis la mise en aveugle des patients et des praticiens, ce qui signifie que toutes les études présentent un risque élevé de biais de performance. En raison du choix d’une mesure de résultat objective (HbA1c), il n’était pas utile de prendre en compte la mise en aveugle des évaluateurs de l’effet. Cependant, même en excluant la mise en aveugle, seules 2 études présentaient un faible risque de biais. Dans 14 études, il y avait un risque élevé de biais dû à un biais de sélection en raison d’une préservation inadéquate du secret de l’attribution dans 1 étude, à un biais d’attrition dans 8 études, à un biais de notification dans 6 études et à d’autres sources de biais dans 2 études. Pour les 19 autres études, le risque de biais n’était pas clair en raison du manque d’informations. Cependant, une analyse de sensibilité pour le critère de jugement principal utilisant uniquement des études à faible risque de biais a confirmé les principaux résultats. Une importante hétérogénéité statistique a été observée. Cela n’a pas été pris en compte dans l’évaluation de la certitude des preuves, car les résultats étaient cohérents sur tous les intervalles de temps. Aucune différence n'a été observée entre les analyses de sous-groupes, l'hétérogénéité statistique ne peut donc pas être expliquée. La probabilité de biais de publication a été considérée comme faible pour la variable de résultat HbA1c sur la base d’une analyse du funnel plot.

 

Évaluation des résultats

Il a donc pu être montré, avec un degré de certitude modéré, que le traitement de la parodontite chez les patients diabétiques réduit la valeur de l’HbA1c en valeur absolue de 0,43 % en moyenne 3 à 4 mois après le traitement par rapport à l’absence de traitement actif ou aux soins habituels. Cette diminution est peut-être cliniquement pertinente. En effet, une étude observationnelle a montré qu’une diminution de 0,2% de l’HbA1c entraînait une réduction de 10% de la mortalité sur une période de 2 à 5 ans (10). Le risque d’effets indésirables, tels que des dommages aux gencives, n’a pas été suffisamment étudié dans les études disponibles. Ces résultats confirment les résultats de la synthèse méthodique Cochrane précédemment publiée, mais en raison du plus grand nombre d’études incluses et de la meilleure qualité des études, la certitude des preuves a pu être augmentée. Par exemple, les intervalles de confiance des résultats sont plus petits. D’autres synthèses méthodiques/méta-analyses confirment également ces résultats et rapportent que le traitement parodontal avec instrumentation sous-gingivale conduit à une diminution absolue de l’HbA1c entre 0,53% et 0,65% par rapport à l’absence de traitement ou aux soins habituels. On retrouve une diminution de 0,65% dans l’étude de Sgolastra et al. (11), de 0,53% dans celle de Teshome (12), de 0,53% dans celle de Cao (13) et de 0,56% dans celle de Baeza (14). 
Presque toutes les études de la présente synthèse méthodique se sont concentrées sur des patients atteints de diabète de type 2 et se sont déroulées en milieu hospitalier. Nous devons en tenir compte pour l’extrapolation des résultats. Enfin, signalons également une possible surestimation de l’effet due à un éventuel effet Hawthorne. Il se peut en effet que les patients de l’étude aient été plus soucieux de surveiller leur glycémie, aient mené une vie plus saine et aient pris leurs médicaments antidiabétiques plus fidèlement que dans des circonstances normales.

 

Que disent les guides de pratique clinique ?

Dans les guides actuels pour la première ligne, il existe un consensus sur l’utilité du traitement parodontal chez les diabétiques (15,16). Le traitement de la parodontite peut améliorer la régulation de la glycémie chez les patients diabétiques (15). En raison du risque accru de problèmes dentaires chez les personnes atteintes de diabète, une visite chez le dentiste et/ou l’hygiéniste bucco-dentaire deux fois par an est recommandée (16). La prévention de la parodontite est en effet également importante pour la régulation de la glycémie (16). Une collaboration interdisciplinaire avec des professionnels des soins dentaires dans le cadre d’un parcours de soins pour le diabète pourrait donc apporter une importante valeur ajoutée pour les soins. 

 

 

Conclusion de Minerva

Cette synthèse méthodique avec méta-analyse, de bonne qualité méthodologique, montre que le traitement parodontal utilisant des instruments sous-gingivaux améliore la régulation de la glycémie chez les personnes atteintes à la fois de parodontite et de diabète, par comparaison avec l’absence de traitement ou avec les soins habituels. Il s’agit d’une diminution absolue de l’HbA1c de 0,43% 3 à 4 mois après le traitement se maintenant après 6 et 12 mois. Le niveau de certitude des preuves est considéré comme modéré en raison d’un risque élevé de biais dans environ la moitié des études. 

 

 

 

Références 

  1. Goderis G. Diabète de type 2 : diminution des événements cardiovasculaires à long terme suite à un contrôle intensif de la glycémie après 10 ans ? Minerva Analyse 17/12/2015.
  2. Hayward RA, Reaven PD, Wiitala WL, et al; VADT Investigators. Follow-up of glycemic control and cardiovascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015;372:2197-206. DOI: 10.1056/NEJMoa1414266
  3. Wens J. Diabète de type 2 : effet d’un contrôle intensif de la glycémie après 10 ans. MinervaF 2009;8(6):74-5.
  4. Holman RR, Paul SK, Bethel MA, et al. 10-year follow-up of intensive glucose control in type 2 diabetes. N Engl J Med 2008;359:1577-89. DOI: 10.1056/NEJMoa0806470
  5. D’ Aiuto F , Gable D, Syed Z, et al. Evidence summary: the relationship between oral diseases and diabetes. Br Dental J 2017;222:944-8. DOI: 10.1038/sj.bdj.2017.544
  6. Hajishengallis G, Chavakis T. Local and systemic mechanisms linking periodontal disease and inflammatory comorbidities. Nat Rev Immunol 2021;21:426-40. DOI: 10.1038/s41577-020-00488-6
  7. Sanz M, Herrera D, Kebschull M, et al. Treatment of stage I–III periodontitis – The EFP S3 level clinical practice guideline. J Clin Periodontol 2020;47(Suppl 22):4-60. DOI: 10.1111/jcpe.13290
  8. Simpson TC, Weldon JC, Worthington HV, et al. Treatment of periodontal disease for glycaemic control in people with diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2015, Issue 11. DOI: 10.1002/14651858.CD004714.pub3
  9. Simpson TC, Clarkson JE, Worthington HV, et al. Treatment of periodontitis for glycaemic control in people with diabetes mellitus. Cochrane Database Syst Rev 2022, Issue 4. DOI: 10.1002/14651858.CD004714.pub4
  10. Khaw KT, Wareham N, Luben R, et al. Glycated haemoglobin, diabetes, and mortality in men in Norfolk cohort of european prospective investigation of cancer and nutrition (EPIC-Norfolk). BMJ 2001;322:15-8. DOI: 10.1136/bmj.322.7277.15
  11. Sgolastra F, Severino M, Pietropaoli D, et al. Effectiveness of periodontal treatment to improve metabolic control in patients with chronic periodontitis and type 2 diabetes: a meta-analysis of randomized clinical trials. J Periodontol 2013;84:958-73. DOI: 10.1902/jop.2012.120377
  12. Teshome A, Yitayeh A. The effect of periodontal therapy on glycemic control and fasting plasma glucose level in type 2 diabetic patients: systematic review and meta-analysis. BMC Oral Health 2017;17:31. DOI: 10.1186/s12903-016-0249-1 
  13. Cao R, Li Q, Wu Q, et al. Effect of non-surgical periodontal therapy on glycemic control of type 2 diabetes mellitus: a systematic review and Bayesian network meta-analysis. BMC Oral Health 2019;19:176. DOI: 10.1186/s12903-019-0829-y
  14. Baeza M, Morales A, Cisterna C, et al. Effect of periodontal treatment in patients with periodontitis and diabetes: systematic review and meta-analysis. J Appl Oral Sci 2020;28:e20190248. DOI: 10.1590/1678-7757-2019-0248
  15. Maladies parodontales (gingivite et parodontite. Duodecim Medical Publications 13/11/2016. Screené door Ebpracticenet: 2019.
  16. Barents ES, Bilo HJ, Bouma M, et al. Diabetes mellitus type 2. NHG-Standaard (M01) 2018.  Laatste aanpassing november 2021.  

 




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